Traduire en littéral le ‘‘Green I.T’’ par numérique vert serait trop réducteur. Pour mieux en comprendre les enjeux, on peut parler de numérique durable intégré à une démarche plus globale de numérique responsable. La crise engendrée par la Covid-19 nous a permis de prendre conscience que le ‘‘toujours plus’’ (1) est en train de détruire notre planète tout en accentuant les inégalités. Mais que d’un autre côté il est difficile de s’en passer quand on voit à quel point la connectivité nous a permis de surpasser le confinement que ce soit comme pépite de lien social ou comme bras armé du télétravail tant utile aux entreprises.

Soyons honnêtes : sobriété et numérique ne vont pas de pair.

Le numérique a une empreinte écologique importante, mais il n’est pas question d’un retour arrière face à l’accélération des usages engendrés par cette nouvelle ère industrielle. Par ailleurs, rendre à terme le numérique plus écologique est une véritable opportunité pour développer une nouvelle filière d’avenir ‘‘Le Numérique durable’’ à très fort potentiel d’emploi. Tout le monde s’accorde à penser que la meilleure façon de développer le mieux réussir ensemble passe par un travail pour tous. La vague verte issue des élections municipales de 2020 montre à quel point nos concitoyens veulent donner un cap écologique aux territoires et aux politiques publiques de proximité. La convention citoyenne pour le climat ainsi que les nombreux rapports sur l’impact du numérique font également l’actualité. Désormais le numérique fait partie des outsiders capables de faire gagner les territoires dans la course liée au changement climatique. Ce bouleversement climatique devenu préoccupant intervient cependant dans une cascade de transitions : urbaine, énergétique, numérique, économique et sociale.

Tout d’abord partons d’un constat alarmant lié au réchauffement climatique. La dernière étude publiée en juillet 2020 par 25 chercheurs prévoit, si on ne fait rien, une augmentation de 2,5 à 3,9°C de la température planétaire d’ici 2050 à cause du doublement du niveau de CO2 dans l’atmosphère. Le rapport du GIEC du 9 août 2021 (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) vient confirmer cette accélération du phénomène avec des projections alarmistes. Aujourd’hui l’empreinte carbone du Numérique est considérée équivalente à l’activité du transport aérien, autour des 3 à 4 % de GES. (Gaz à Effet de Serre). Sans rentrer dans les détails mais pour bien comprendre quels sont les leviers sur lesquels nous pouvons agir, on peut noter plusieurs facteurs à prendre en compte :

Les infrastructures Telecom, réseaux et data, sachant par exemple qu’un gros datacenter consomme autant qu’une ville de plus de 100 000 habitants. Il y a aussi les réseaux, en particulier mobiles comme la 4G et 5G d’ailleurs connectés à la fibre, qui sont également très énergivores.

Ce système planétaire et tentaculaire qui comprend 45 millions de serveurs, 800 millions d’équipements de réseaux et plusieurs centaines de milliers d’antennes entraîne une consommation électrique mondiale qui risque bientôt d’atteindre les 10%.

Au niveau soft il reste encore beaucoup d’applications mal conçues, disposant d’une architecture d’accès et de management des données non économe en énergie. En moyenne une donnée parcourt 15 000 Km (source publication 2020 ADEME)(2), parce que les zones de chalandise ne calquent pas suffisamment avec les centres transactionnels et de valorisation des données opérés par les GAFAM et BATX.

La multiplication des équipements, c’est-à-dire les appareils que nous utilisons au quotidien et leur cycle de vie de la fabrication au recyclage. On connaît la pénurie de métaux rares et leur empreinte d’extraction (parfois 150 fois le poids final), on doit aussi mesurer l’impact de 1,5 milliard de smartphones vendus chaque année dans le monde.

Chacun de nous possède un smartphone voire parfois deux, une tablette en plus d’un ordinateur de travail. Au niveau d’un foyer le nombre d’accès wi-fi sollicités est très évocateur de cette multiplication déraisonnable de matériels. À tout cela s’ajouteront d’ici 2030 environ 46 milliards d’objets connectés.

Les comportements : passer des heures sur Netflix ou Youtube, n’est pas écologiquement gratuit. Le forfait connexion est une réalité mais loin de là le forfait écologique.

L’ensemble des vidéos parfois très futiles qui circulent sur Facebook regardées quotidiennement par les marseillais engendrent une pollution quasi équivalente au transit des camions dans la ville. De récentes études montrent aussi à quel point les tablettes utilisées à l’école concernent trop peu l’acte pédagogique. Sur 90 minutes de cours, 61 minutes sont consacrées à jouer, chatter, consulter les réseaux sociaux…

Au-delà du manque d’information et d’utilisation pour les consommateurs, il faut également se méfier des ‘‘faux amis’’ en la matière.

Exemple : il faut des années pour amortir écologiquement une liseuse au lieu d’un livre papier(3). Jusqu’où irons-nous ? Si on ne fait rien, l’empreinte carbone du numérique risque de doubler dans les 10 prochaines années en dépassant les 7 % de CO2.

On peut cependant rester optimiste à partir du moment ou la prise de conscience sur cette ‘‘face cachée du numérique’’ s’invite dans l’esprit de chacun.

Pour aller dans le sens d’une bonne analyse de la situation et surtout du quoi et comment faire, différents groupes de travail commencent à se mettre en place tant sur le plan associatif qu’au niveau des hautes instances de l’Etat et aussi dans le monde universitaire.

Des livrables permettent d’apporter de la bonne matière pour établir une feuille de route dont Marseille pourrait tirer parti. En plus d’une baisse de bilan carbone, on peut grandement espérer une plus-value sociale par le développement de nouvelles filières.

On peut noter notamment :

  • La ‘‘feuille de route sur l’environnement et le numérique’’ du Conseil National du Numérique, 50 mesures pour un agenda national et européen sur un numérique responsable (Publication du 09 juillet 2020)
  • Le rapport au Sénat ‘‘25 propositions pour une transition numérique écologique’’ (Publication du 24 juin 2020 par la mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique, présidée par Patrick Chaize)
  • Travaux récents et communiqué de Presse de l’ARCEP sur l’impact environnemental du numérique (Avril 2020). L’ARCEP a publié une note sur les effets de diverses évolutions des réseaux et de leurs usages sur l’empreinte carbone du numérique. Dès septembre 2018, l’ARCEP a ouvert un nouveau cycle de réflexion ‘‘Les réseaux du futur’’ pour anticiper l’évolution des réseaux, avec un horizon de 5 à 10 ans.

Quelques recommandations tournées vers les utilisateurs : réduisez votre consommation d’emails et de lectures vidéo, supprimez les logiciels inutiles et éteignez vos périphériques pour éviter les veilles. Stockez vos fichiers localement. Optez pour le reconditionnement et le recyclage, privilégiez la réparation autant que faire se peut plutôt que l’achat spontané encouragé par l’obsolescence programmée…

Quelques pistes au niveau du territoire :

  • Pour le cloud, s’intéresser à des data centers moins gourmands de taille intermédiaire et modulaires, couplés à de l’énergie renouvelable de proximité.
  • Lancer des campagnes de sensibilisation pour infléchir les bons comportements.
  • Mutualiser les infrastructures Telecom S.I et rationaliser en énergie.
  • Utiliser les atouts du territoire en matière énergétique : exemple Thalasso thermie avec boucle d’eau de mer, géothermie, solaire, éolien.
  • Développement d’une filière Green IT avec le concours de la SmartRegion et des pôles d’excellence comme Capenergies et son étendard Flexgrid.
  • Faire évoluer le pilote Orange Challenge 5G Marseille en une 5G écoresponsable et acceptable.
  • Mettre en place au niveau local une économie circulaire numérique.
  • Profiter du projet Smartport pour en faire un exemple de port numérique durable, en utilisant le foncier pour déployer du solaire.

Le paradoxe écologique du numérique est une réalité. Oui le Numérique est directement source de pollution, mais la transition numérique des autres secteurs qu’il permet, contribue à la transition écologique globale. On l’a vu, pendant le confinement, de nombreux bâtiments inoccupés, dépour- vus de capteurs, sont restés actifs et chauffés. Le bâtiment intelligent et sa supervision par le numérique s’imposent à nos yeux comme une nécessité d’op- timisation, tout comme une meilleure couverture de la connectivité pour faciliter le télétravail à la maison. Il en est de même pour l’éclairage public, où l’on voit pendant le couvre-feu Covid encore des rues entièrement bêtement éclairées. Marseille montre plutôt le bon exemple en pilotant ses armoires électriques de rue via le réseau LoRA.

Bien d’autres initiatives commencent à émerger à Marseille, telles qu’Interxion qui fait des efforts sur l’optimisation énergétique de ses datacenters. MRS3, un bun- ker reconverti sur le port, fait appel à une boucle de refroidissement à l’eau de mer, projet exemplaire soutenu par l’ADEME. Le Pole SCS ainsi que Medinsoft avec les IoT développent également des solutions eco-responsables tout comme Flexgrid avec les réseaux électriques intelligents. Sur ce dernier point la ré-électrification de Marseille est déjà sur les rails avec la connexion à quai des bateaux de croisière et les besoins à venir de l’archipel des datacenters marseillais. Enfin pour bien mesurer l’efficacité de ces investissements, il sera important de mettre en place un référentiel d’indicateurs utiles au pilotage, étendus à la ville durable. Aujourd’hui les choses avancent et vont dans le bon sens avec l’adoption de la Loi REEN qui vient d’être promulguée en novembre 2021.

‘‘Réduire l’empreinte environnementale du Numérique’’. Cette loi portée notamment par Monsieur le Sénateur Patrick Chaize Président de l’AVICCA constitue une première législative destinée à prévenir, encadrer et réduire les impacts environnementaux du numérique. Sa future mise en application va incontestablement ouvrir la voie de la sobriété numérique.

Encore une fois, Marseille est à la fois un formidable terrain et terreau d’expérimentation, qui en y associant dans la participation ses habitants, pourrait montrer l’exemple et ainsi tirer parti de cette croissance verte devenue incontournable. L’après H2020 Européen ‘‘New Green Deal’’ et le virage écologique pris au niveau gouvernemental, apportent à notre territoire une superbe opportunité de co-construction et de co-financement de projets d’envergure.

Pour conclure ce chapitre on peut retenir trois leviers pour faire du numérique un vecteur puissant de durabilité

  1. Appliqué à lui-même : le numérique pourra réduire son empreinte environnementale en focalisant sur la sobriété à partir des leviers précédemment décrits.
  2. Appliqué aux autres secteurs économiques : faire du numérique un levier de transition écologique et solidaire – exemple : la rénovation des bâtiments en utilisant le BIM ou des labels tels que le R2S de la SBA(4)
  3. Appliqué à tous en l’ouvrant à la participation des citoyens, en y associant la sphère économique et aussi le monde de la recherche.

Cela sera l’occasion de développer de nouvelles filières utiles à l’emploi et à la cohésion sociale. Une nouvelle offre vertueuse peut voir le jour en jouant sur la complémentarité énergétique et multiculturelle avec l’Afrique. Cette nouvelle forme d’industrie exportable et compétitive va dans le sens d’un numérique éthique. Il ouvre une belle perspective d’emplois pour réindustrialiser la France et embaucher des emplois à qualification intermédiaire tournés vers notre jeunesse, avec des bonus pour les futurs apprentis. Il y a un gisement considérable de nouveaux métiers qui vont être créés.

Après tout n’est-ce pas cela le Tech for Good, donner un ‘‘nouvel emploi’’ au numérique !

(1) Allusion à l’ouvrage de Francois de CLOSETS ‘‘Toujours Plus’’ en 1984 qui parle de la course au progrès et des inégalités engendrées

(2) Publication ADEME ‘‘La face cachée du Numérique’’ novembre 2019

(3) Florence RODHAIN ‘‘La nouvelle religion du Numérique : le numérique est-il écologique ?’’ Editions EMS

(4) Label R2S ready to services SBA Smart Building Alliance www.smartbuildingsalliance.org

2022-01-24T19:39:31+01:00décembre 28th, 2021|Presse 2013|0 commentaire

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