Les décideurs doivent créer les conditions du développement numérique dans tous les territoires, en misant sur l’astuce et la valorisation de tous les liens humains. Ce sont les bases nécessaires à la croissance des entreprises, à l’amélioration de la vie quotidienne des citoyens, à la rénovation démocratique des territoires.
Axe 1 : Créer un socle numérique pour tous associant les initiatives publiques et privées
L’aménagement numérique, une formidable aventure partenariale
Alors que l’aménagement numérique en France souffre des désaccords entre les collectivités et les opérateurs, n’oublions pas que ces infrastructures donnent lieu à une formidable aventure collective et partenariale bien au-delà de ce qu’on a pu constater, par exemple, lors de la construction des lignes à grande vitesse. Rien que du côté des collectivités, l’enjeu du très haut débit a mobilisé tout à la fois les EPCI, qui formulent les besoins et promeuvent les nouvelles infrastructures auprès des usagers finaux, que les régions et les départements, qui se coordonnent pour impulser une logique d’aménagement du territoire et rassembler les financements. L’Etat et l’Europe ne sont pas bien sûr en reste comme financeurs mais aussi
comme garants de la cohérence des projets. L’investisseur privé joue aussi un rôle clé : dans les grandes villes bien sûr, comme à Marseille où j’ai pu démontrer dans les précédentes pages à quel point une démarche partenariale entre ville et opérateur pouvait porter ses fruits. Mais aussi dans les zones que l’on dénomme parfois ‘‘d’initiatives publiques’’ et dont les réseaux, régulés par les collectivités, sont construits grâce à une part d’investisse- ment privé de plus en plus importante. Cette démarche partenariale prépare l’avenir : c’est dans le même type de logique que les territoires doivent s’en- gager pour enrichir leurs infrastructures numériques peu à peu.
C’est pourquoi il convient, à mon sens, d’élargir et de renforcer la notion d’infrastructure numérique en désignant tout un réseau de sites prioritaires qui, au sein des territoires, joueront le rôle d’oasis numériques au service de la population et de l’économie. C’est le cas des établissements de formation et d’éducation,
mais aussi des bâtiments civiques, ou encore des zones d’activités. Ce sont les synapses du territoire numérique.
La logique partenariale renforcée et structurée à une échelle régionale, permet de créer des opportunités de mutualisation et de partage au cas par cas. Par exemple, un réseau Wi-fi gratuit régional à identifiant unique, voire même transfrontalier (avec le projet entre la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur et la Ligurie) permettrait aux citoyens de se connecter avec un seul identifiant, de façon transparente, à tous les services Wi-fi gratuits de Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Il ne s’agirait pas là d’une expérimentation, mais bien d’un système éprouvé, notamment dans la Drôme avec le projet CIGALE. C’est désormais l’Union Européenne qui reprend l’idée, avec le projet WIFI4EU. A toutes les échelles, les territoires utilisent de plus en plus l’infrastructure numérique comme un vecteur d’échange et de construction d’identité commune. Les Tourangeaux par exemple, ont choisi de construire leur Wi-fi territorial à l’échelle des métropoles et d’installer des bornes dans chaque coeur de village, de telle sorte que la continuité territoriale se prouve par le numérique. Impulser des stratégies territoriales de la donnée. Dans la sphère numérique, ce qui structure les échanges et même maintenant la valeur des choses, c’est bien la donnée. La donnée numérique se développe au rythme exponentiel des objets et capteurs connectés, mais aussi de nos usages d’Internet, toujours plus intensifs, et qui génèrent des informations aussi personnelles que précieuses.
Ce tsunami du digital concerne tous les métiers, tous les secteurs. Il devient donc indispensable, pour les régions pionnières, de disposer d’une stratégie régionale de la donnée et d’une structure référente, à l’image d’un Chief Data Officer, qui pour- rait apporter de la visibilité à la problématique des données. Son rôle serait de coordonner la politique de la donnée (ouverture des données, données massives, données personnelles, gouvernance de la donnée), ainsi que les programmes des infrastructures partagées entre les directions des métiers de la Région, mais également avec les autres collectivités territoriales. La gestion de la donnée est, pour un territoire, bien plus qu’un enjeu de cybersécurité, ou même de transparence citoyenne. Tirer le fil d’Ariane des données générées par le service public, c’est se donner une occasion unique de mieux comprendre com- ment nos administrations fonctionnent, repenser leurs services et apporter plus aux citoyens.
La Région Sud Provence-Alpes-Côte- d’Azur joue aujourd’hui ce rôle avec le portail datasud.fr. Il doit être poursuivi et renforcé. Seule l’échelle régionale permet en effet une masse critique cohérente avec une réutilisation industrielle des données numériques.
Pour l’instant, la plupart des collectivités a très peu de temps, de moyens et d’expertise à allouer pour un tel sujet. Alors les cadres de mutualisation doivent se mettre en place, pour garantir un socle commun – en premier lieu en matière de sécurité des données personnelles, et de transparence citoyenne. Des associations ou des groupements, à l’échelle départementale et régionale, prennent le sujet à bras le corps. Ils doivent renforcer leur travail en commun autour de datasud.
C’est ce type de solidarité nouvelle, numérique mais bien territoriale aussi à la fois, qu’il faudra développer à l’avenir. En mutualisant le stockage, la protection et le partage des données, on construit les potentiels pour partager bien plus encore. On peut mettre en place un programme de services mutualisés dont la mise en œuvre est aisée : plateformes dans le cloud en mode SaaS (Software as a Service), guichets de e-services pour les EPCI et les communes, etc. Ces services logiciels ne sont pas des expérimentations, mais des services rendus concrètement aux citoyens. Et sur ce front, la mutualisation est très nécessaire, pour que nos concitoyens ne se perdent pas dans une nouvelle jungle administrative, toujours aussi chronophage. La Ville de Gien expérimente un portail de téléservices mutualistes entre Département, Agglo et Commune. C’est ce type d’initiative simplificatrice qu’on est à même d’exiger des collectivités.
Axe 2 : développer une politique numérique au service du ‘‘mieux-vivre sur le territoire’’
De nouveaux services aux citoyens, dans une logique plus ouverte
Les citoyens attendent d’être accompagnés dans leur mobilité, leur santé, leur éducation, leur formation, leur carrière. L’échelon régional est notamment, en position idéale pour répondre à ces attentes. Nous sommes là au cœur d’un enjeu fondamental pour l’avenir des territoires : le numérique va jouer le rôle d’accélérateur de notre soutien aux citoyens. Les collectivités se doivent de contribuer à abaisser le seuil d’accès à ces technologies, via des solutions de mutualisation : par exemple, en simplifiant et optimisant la mobilité, pour moins mais mieux se déplacer. Les nouveaux modes de travail que sont le coworking, les télécentres, les Fab Labs, incubateurs et autres accélérateurs, sont un substrat idéal pour que les territoires accompagnent les mutations sociétales tout en stimulant la créativité des citoyens. De nombreuses missions sont à mener, régions, départements et EPCI ensemble, telles que le maintien des personnes âgées à domicile, via la e-santé, les plateformes sociales et de services, le développement des dispositifs d’e-inclusion, des espaces de socialisation. Ce portrait large permet de réaliser à quel point sont nombreux les projets numériques qui pourraient contribuer fortement au ‘‘mieux-vivre-ensemble’’. L’enjeu, pour chaque territoire, sera d’associer réellement toutes les parties prenantes et de prendre en compte de manière fine le besoin citoyen. Les dynamiques des services numériques et des nouveaux modes de travail sont encore fragiles. Le numérique à la réussite facile, celui des GAFAM, a fait éclipser plutôt les efforts des acteurs locaux qui construisent, plus lentement, un monde numérique porteur de sens. Il faut donc mettre toutes les chances de notre côté en évitant les actions doublon, le décalage entre les besoins, les capacités réelles des usagers, et les offres développées par les territoires.
Promouvoir les nouvelles formes de travail par la création de centres d’excellence numérique régionaux et des TOTEMS. On le voit avec les enjeux de la donnée, des services numériques, des infrastructures numériques : ces terrains d’innovation donnent lieu à une nouvelle donne dans les relations public/privé. Ces expériences se traduisent peu à peu dans les réglementations, par exemple avec le partenariat d’innovation. Mais là où l’on voit le plus la fécondité des relations entre les collectivités et les innovateurs, c’est bien dans l’émergence de nouveaux lieux – des tiers- lieux, espaces de coworking, Fablab – qui donnent l’opportunité de développer de bonnes idées jusqu’au succès commercial. Or, ces lieux reçoivent souvent le soutien décisif des collectivités, quand elles ne les ont pas créés elles-mêmes. Et c’est naturel : ces lieux sont une opportunité de faire territoire autour de l’innovation, et de remettre du lien humain au coeur des aventures entrepreneuriales.
Par exemple, il existe en Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur des projets dont l’intérêt est incontestable, mais leur nombre est insuffisant. L’offre reste hétérogène et la capacité à entraîner une transformation des usages numériques trop réduite. Les territoires doivent jouer leur rôle pour renforcer l’engagement des investisseurs privés en améliorant la visibilité de leurs projets, mais aussi en mettant en lien des acteurs dont les intérêts peuvent converger : entreprises locales, universités, collectivités en quête de digitalisation. Les territoires sont des têtes de réseau et, contrairement aux idées reçues, peuvent se mettre au service de la performance économique locale.
Les collectivités pourraient impulser la création de nouveaux lieux emblématiques, des bâtiments «TOTEM» orientés vers les nouveaux modes de travail et d’innovation, venant en complément et sans concurrence directe avec les incubateurs déjà présents localement (Belle de Mai, Impulse, Château Gombert, PACA-Est…). Le rôle de ces lieux ne serait pas de faire de l’affichage politique, mais bien au contraire de donner l’occasion aux entre- prises locales de se saisir des mutations du management et de leurs propres secteurs d’activité.
Aujourd’hui Aix-Marseille Université socialement engagée a décidé de faire de l’innovation le coeur de son identité. Forte de ses 80 000 étudiants dont 10 000 étudiants internationaux, de ses 6 secteurs de formation et de recherche et de ses 8 000 personnels, Aix-Marseille Université est la plus jeune mais aussi la plus grande université du monde francophone.
Elle est un acteur métropolitain incontournable offrant une visibilité internationale. Aujourd’hui Aix-Marseille Université s’est positionnée aux côtés de ses partenaires locaux, territoriaux et régionaux pour mieux structurer le processus de l’innovation en créant la Cité de l’Innovation et des Savoirs Aix-Marseille (CISAM). Elle est l’occasion d’amorcer une approche intégrée et ouverte de l’innovation visant à accroître l’emploi et l’attractivité du territoire et de la région dans toutes ses dimensions. Cette cité de l’innovation intègre l’Objet Monde, un bâtiment totem numérique en liaison avec le Smartport : l’accélérateur M.
C’est une feuille de route partagée par les acteurs du développement économique du territoire avec :
- Une vision : Rayonner au niveau national et international en étant attractif sur une filière d’excellence : la mer incarnant la spécificité du territoire. Proposer une offre de services apportant une réelle plus-value par rapport à l’existant sur le territoire (accès à des marchés internationaux et à des fonds d’investissements nationaux) et comprenant également une dimension d’inclusion sociale.
- Une mission : Héberger et accompagner les Start-ups sur la filière d’excellence retenue, avec une capacité à recruter au niveau international, les mettre en relation avec des entreprises du territoire ou de marchés internationaux. Proposer aux entreprises un accès ciblé et privilégié à ces Start-ups. Permettre au grand public d’accéder aux innovations (show room) et d’expérimenter.
- Des buts : Objectif d’un business model fondé sur des partenariats publics/privés (financement de l’accompagnement des Start-ups par les services aux entre- prises). Une gestion/animation du lieu qui sera déléguée. Indicateurs : nombre de start-ups recrutées de l’étranger, nombre de Start-ups devenant des ‘‘champions’’ visibles à l’international.
L’offre de services du futur bâtiment TOTEM numérique pourrait être :
- L’attractivité et le développement des Start-ups grâce à une offre de finance- ment unique sur le territoire, Un hub d’accès aux marchés méditerranéens (entre start-ups d’une zone géographique et entreprises d’une autre),
- Une synergie avec le projet en cours de la Cité de l’Innovation, projet orienté valorisation de la recherche : lien chercheurs/ entreprises.
La spécialisation autour du thème de la mer, réelle demande internationale existante, associée aux infrastructures étant liées aussi avec les industries créatives ou le développement urbain. Actuellement, il s’agit bien d’une Cité de l’Innovation pour aider les laboratoires et les Start-ups qui vient d’être inaugurée dans l’ancien siège de la SNCM en mars 2019.
La Cité de l’Innovation et des Savoirs, structure universitaire sans équivalent, affirme la position de l’université et de ses chercheurs comme acteurs de l’innovation et du développement économique sur leur territoire.
L’Occitane avec Obratori et CMA-CGM avec Zebox venus en renfort, donnent de l’amplitude au projet d’A.M.U. Reste à mesurer si l’accélérateur M de la Métropole de la Ville de Marseille, de la Ville d’Aix-en-Provence et des pôles de compétitivité doit s’affirmer hors les murs… Comme l’a très bien réussi station F à Paris.
Ce nouveau lieu regroupe sur 2 800 m2 l’accélérateur d’entreprises de la CMA- CGM et celui de l’Occitane ainsi que l’accélérateur M sur 800 m2 dédiés à l’accueil et au développement des start-ups situées au Castel, grâce au Port de Marseille.
Les financements de ces lieux doivent être diversifiés, autour des entreprises, des collectivités, des opérateurs publics. A Vitré, ville bretonne connue pour son engagement auprès des entreprises, le lancement du FabLab FIVE s’est fait en symbiose totale avec les acteurs privés, qui financent le lieu mais surtout, s’en emparent pour mener leurs propres expérimentations.
A Marseille, les tiers-lieux disposent d’un potentiel pour accueillir des types variés d’activités ; il y a les besoins locaux en incubation et en accélération, mais il y a aussi ce qui concerne l’apprivoisement de l’innovation par les grandes entreprises, le réseautage entre les entrepreneurs, et tout ce qui nourrit une dynamique locale d’innovation ouverte.
Il y a également des liens à construire entre ces lieux d’innovation et les services mutualisés offerts aux collectivités locales. Par exemple, les services d’administration électronique ont moins bénéficié des mutations de l’informatique mobile que les applications grand public pour smartphone. Si les collectivités de notre région se lancent pleinement dans l’aventure numérique, il faudra associer les écosystèmes d’innovation locaux à la fabrication des nouveaux services aux citoyens, pour que l’action publique locale bénéficie pleine- ment de la vitalité des Start-ups, y compris des “civic-tech”.
Axe 3 : Développer une politique numérique au service de ‘‘l’attractivité‘‘
Le développement numérique attire toutes les entreprises
Si les collectivités parviennent à mettre en place un socle numérique robuste pour les territoires et à encourager le développe- ment des lieux d’innovation, cela constituera un argument de poids pour l’attractivité locale. De nouvelles opportunités pour les entreprises, mais aussi un gain de qualité de vie pour les habitants. Or, on sait bien maintenant qu’attractivité résidentielle et attractivité économique vont de pair et se renforcent mutuellement.
En constituant elles-mêmes des lieux d’expérimentation pour la filière numérique locale, en suscitant de nouveaux liens entre chercheurs, innovateurs, chefs d’entreprise, les collectivités peuvent aussi créer les conditions propices à l’émergence de champions régionaux, susceptibles de se projeter rapidement à l’international.
Aller à la rencontre de tous les acteurs économiques pour arriver à ses fins, l’action des territoires dans le monde économique relève aussi de la sensibilisation : en lien avec les consulaires, avec les têtes de réseau des entreprises, éveiller les consciences de toutes les générations à l’impact crucial du numérique sur les métiers et les ‘‘business models’’. Pour beaucoup de territoires, la clé du succès a résidé dans un accompagnement très précoce des jeunes locaux à l’importance du développement territorial et de l’innovation. Manière de dire à tous que ici, réussir en créant, c’est possible.
En effet, le numérique transforme et dynamise les métiers traditionnels. Les acteurs économiques ne doivent pas subir ‘‘l’ubérisation’’, mais au contraire évoluer avec le numérique. Il est donc important de soutenir la diffusion et l’appropriation du numérique par l’ensemble des secteurs économiques : en priorité le tourisme, mais également la logistique et les transports, les entreprises de services, l’artisanat et le commerce.
Laisser un commentaire
Vous devez être dentifié pour poster un commentaire.